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Arrivée : 20/12/2020

ce rendez vous, Olivier le rate rarement.

ça fait un moment, à vrai dire, ça fait... 15 ans, quelque chose comme ça, il n'est pas du genre à compter précisément les jours et les mois, ce serait un peu trop déprimant, même si la blessure a eu le temps de se refermer, depuis tout ce temps.

mais même s'il s'en veut moins,
même si ça fait moins mal,
il vient encore,
à peu près une fois par mois.

il profite du fait qu'il va à l'église le dimanche, il ne sait pas s'ils apprécieraient ce sens de l'économie des trajets et de l'utilitarisme, mais ils ne peuvent plus rien lui reprocher, de toute façon.

le garde forestier salue tout ceux qui partent de la messe et viennent lui dire bonjour, puis quand il n'y a plus personne et que le parvis est enfin calme, il se dirige vers le cimetière juste à côté. il n'est pas pudique, il pense que ces visites là doivent être de notoriété publique, depuis tout ce temps, mais il n'aime juste pas croiser du monde.

pourtant, il y a toujours cette ombre, à quelques rangées de son lieu de rendez vous, qui est là encore aujourd'hui, en train de... nettoyer, pour changer. le p'tiot Savely, Olivier le connait, surtout de vue, toujours de loin. mais il n'est pas dupe quand à la provenance des cadeaux qu'il reçoit régulièrement sur le pas de sa porte...
... et pas dupe non plus sur l'identité de celui qui a un peu trop nettoyé la tombe de ses parents.

il ne lui en veut pas, c'est le genre d'attention qu'on apprécie, mais... c'est un peu trop. bien sûr, qu'il avait aidé les deux p'tiots quand ils étaient dans la merde, ça allait de soit, mais il ne s'attendait pas à tout ça, et même s'il n'osait pas tout à fait se le dire, il n'aimait pas voir cette tombe trop propre. ça lui donnait l'impression qu'elle était neuve,
qu'on venait de la poser à nouveau,
que, encore une fois, elle scellait son destin ici,
et il se dit une nouvelle fois qu'il est venu s'enterrer ici en même temps qu'il a enterré ses parents,
et que rien ne va s'arranger.

Olivier reste figé devant la tombe, le dos un peu trop droit pour être bien, mais il n'a plus grand chose à faire, et il n'est pas du genre à converser avec les morts, pas ici, en tout cas.

alors il repart, la tête baissée, franchit la grille qui grince toujours, et putain, la prochaine fois il prendra sa propre bonbonne de WD 40 si le gars qui gère ça est pas foutu de se bouger le cul, et il s'adosse au mur d'enceinte du cimetière, pas très loin de l'entrée.
il attends.
il attends un moment.

et quand le gosse Savely sort enfin, il l'interpelle :

t'as un moment ?

c'est une question, mais son ton bourru ne laisse pas vraiment place au refus.

Arrivée : 19/01/2021

Quand trop c'est trop

Les dimanches matin, tu fais toujours la grasse matinée. Enfin, la grasse matinée à la Aaron Savely, c'est-à-dire neuf heures trente. Tu as beaucoup à faire le dimanche. C'est le jour du grand nettoyage. Dès dix heures, après t'être préparé et avoir bu ton café, tu es armé de ton masque, des gants de nettoyage et de ta javel. Puis tu récures le rez-de-chaussée de ta maison. L'étage c'est pour l'après-midi. Et pendant que le bas brille et que le produit des toilettes fasse effet, tu attrapes ton seau d'eau avec de la javel, ton autre paire de gants de ménage, tes gants en latex pour sortir ainsi que ton masque. Sans oublier ton désinfectant et ton éponge. En sortant tu attrapes le bouquet de fleur acheté la veille avant de passer le seuil de ta porte.

Beaucoup de monde est à la messe. Il est onze heure et toi, tu es là, agenouillé devant une tombe, celle des parents d'Olivier, cet homme vous avait sauvé plus d'une fois quand tu étais enfant alors tu repayais sa gentillesse. Tu lui apportais de quoi se protéger des microbes, des virus et des maladies. En ce moment comme il se fait froid tu ajoutes de écharpes, des plaids, des bonnets ou des gants pour qu'il reste au chaud. Et comme il est garde-forestier, tu lui ajoutes toujours des chaufferettes. En plus tu nettoies la tombe de ses parents, tu sais qu'il la visite tout les dimanches, et s'il tombe malade après avoir été en contact avec les microbes sur celle-ci?

Une fois la première tombe faite, tu te diriges vers une seconde, celle de ta grande sœur. Tu retires toute la saleté, tout les microbes après tout, ta sœur est décédée à cause d'un virus, tu ne peux rien laisser se développer sur son lieu de repos éternel n'est-ce-pas? Tu ne parles pas avec elle à voix haute, tu ne pleures pas. Ca fait bien longtemps que tu n'as plus de larmes pour elle, mais tu continues à lui parler dans ta tête. Tu ne l'oublieras jamais.

" Oh, Aaron, encore en train de nettoyer la tombe de ta soeur? Elle est chanceuse d'avoir un frère aussi dévoué que toi... "

"Oh Aaron, tu veux venir manger chez moi ce midi? Ca nous ferait plaisir..."

" Oh, comment va ton frère?"

Les quelques personnes qui vont et viennent dans le cimetière t'adressent toujours un petit mot, en espérant que tu leur répondes. Mais aucun son ne sort de ta bouche, seul tes yeux foncés les fixent par-dessus ton épaule et ton air sombre les fait reculer lorsqu'ils s'approchent de trop près. Après quelques secondes à attendre une réponse qui ne viendra jamais, ils abandonnent et partent en te souhaitant une bonne journée. Tu leur réponds d'un signe de tête discret, presque invisible. Puis tu te remets à nettoyer la tombe.

Une fois fait, tu changes le bouquet de fleur et tu te redresses, attrapant ton seau dont l'eau était trouble dû à la saleté que tu jettes non loin, à un endroit où il y a un trou d'égout. Une fois cela fait, tu ranges tout, jettes l'ancien bouquet puis tu prends tes affaires et tu sors, sortant une lingette pour ouvrir le portail qui grince. Rien que d'imaginer les microbes dans la rouille te dégoute. Tu t'apprêtes à rentrer chez toi pour manger et nettoyer l'étage mais une voix t'interpelle. La voix d'Olivier. Alors tu t'arrêtes, lui faisant face et regardant autours de toi, tu es tout seul alors il parle forcément à toi.

- Bonjour monsieur Dubois... Je... Oui... Pourquoi?

Tu voulais simplement rentrer chez toi mais si Olivier avait besoin de toi tu serais présent. Tu serres un peu la anse de ton seau, tu dois changer tes gants en latex bientôt.

Arrivée : 20/12/2020

Aaron était prêt à partir, masqué, ganté, protégé,
et la vision ferait presque sourire Olivier, s'il ne trouvait pas ça un peu triste.

il repense à ce gosse qu'il n'a jamais vraiment vu, cloisonné dans la maison trop propre, chéri par son frère, protégé aussi, c'est vrai, mais il ressentait quand même toujours un pincement au cœur en y pensant, en le devinant derrière les volets trop propres. il y repense en le voyant maintenant adulte, se tourner vers lui, un peu hésitant, mais qui se plie pourtant à la question lancée comme un ordre.

il a eu ce qu'il voulait, Olivier, mais il hésite un peu, se demandant comment formuler ses pensées.

c'est plutôt un bon gamin, le fils Savely, même carrément, vu toutes les petites attentions dont il fait preuve pour Olivier, mais c'est justement un peu trop, et c'est compliqué à dire poliment,
sans être méchant,
sans être mal interprété.

lui qui fait toujours tout pour être le plus désagréable possible sans remords,
pour une fois, il regrette un peu de ne pas savoir faire autrement.
mais puisqu'Aaron semble avoir effectivement un moment, il peut se permettre de prendre un peu de temps pour remettre ses idées en ordre.

heu, t'inquiètes, je voulais juste...

allez, dis pas de conneries.

te remercier. je veux dire, merci pour tes cadeaux, c'est très gentil... mais, tu sais... tu n'es pas obligé d'en faire autant...

Olivier met les mains dans ses poches, car il ne sait plus trop où se mettre. il aide toujours n'importe qui, qu'on lui demande gentiment ou non, alors il n'attends jamais rien en retour. il le fait, car il a envie de le faire, car il faut bien que quelqu'un le fasse dans ce bled, et tout.
au pire, on lui offre un café, et il peut grogner qu'on est quitte.

mais Aaron n'est pas du genre à pouvoir juste offrir un café.
ce serait trop simple.

alors Olivier doit se triturer les neurones, et buter sur les mots, trop peu habitué à réfléchir.

j'ai voulu vous aider, c'est tout. j'attends rien, tu sais.

Arrivée : 19/01/2021

Quand trop c'est trop

Il était devant toi. Debout. Planté. Il réfléchissait, tu le voyais à sa face. Comme souvent quand on est debout devant toi et que tu regardes les gens dans les yeux, à cause de ton air sombre, les gens sont souvent mal à l'aise. Le mets-tu mal à l'aise? Suite à cette pensée, tu te recules un peu, lui laissant un peu plus d'espace, tu détournes le regard aussi.

Tu dois t'occuper les mains.

Alors tu poses le seau et tu changes tes gants en latex, mettant les anciens dans un petit sachet où une autre paire s'y trouvait: la poubelle. Puis tu en mets des nouveaux que tu désinfectes, le tout tout en restant attentif à ce que pouvait vouloir te dire Olivier. Tu observais sa gestuelle, ce qu'il dégageait, une habitude que tu avais, tu regardais trop, toujours trop. Alors quand tu te rends compte qu'il est toujours mal à l'aise, tu deviens mal à l'aise.

Il parle. Il parle et tu l'écoutes, ne comprenant pas ce qu'il voulait dire. En faire autant? Pour toi tu faisais le minimum pour le protéger des microbes. Comment pouvais-tu faire moins? Te demandait-il de le laisser tranquille...? En avais-tu trop fait? Comme d'habitude.

- Je...

Tu déglutis, tu ne sais pas quoi dire, tu réfléchis. A toute vitesse. Il pense que c'est parce qu'il vous a aidé. Mais ça fait bien longtemps que ton frère et toi avaient repayé la dette que vous lui deviez... Maintenant tu te souciais simplement de lui. Ne devrais-tu pas? Tu viens interloquer tes doigts entre eux, jouant avec le latex, tout en cherchant quoi dire.

- Ce n'est pas cela...

Toujours parler en petites phrases, ça limite les microbes. Mais actuellement, c'est surtout car tu ne sais pas comment expliquer que tu t'inquiète pour quelqu'un. Cela ne va pas avec ta nature de Clean-Freak.

- Je... Le fait parce que j'en ai envie.

Devrais-je vous laisser tranquille? Suis-je un poids sur vos épaules?
Voilà les phrases qu'il faudrait que tu dises mais ta bouche reste scellée, même devant Olivier tu ne peux pas être honnête.

- Je le fais parce que mon frère me l'a demandé.

Mensonge. Mais, tu préfères mentir que d'admettre que tu t'en fais pour quelqu'un, n'est-ce-pas?

Arrivée : 20/12/2020

C'est dur, de toujours trouver les bons mots, et Olivier n'y arrive jamais. tout sort trop dur, trop brusque,
pas comme il faut.

les deux silhouettes qui se tiennent seules devant le cimetière sont mal à l'aise, et malheureusement Olivier fait partie d'eux, alors il voudrait partir, mais il y a aussi le gosse Savely, et il faut qu'il fasse un effort pour lui, pour lui dire ce qu'il veut sans le blesser.

il attend une réponse, essaye de ne pas le faire trop impatiemment. les mains dans ses poches se serrent, se desserrent, jouent avec le trousseau de clé. il écoute le bruit des gants en latex, des mains dedans qui se tordent, et c'est de sa faute, il le sait, et il aurait peut être du ne rien dire et partir, et épargner tout ça à Aaron,
mais maintenant qu'il a commencé... il faut finir.

peut être qu'Aaron a aussi du mal avec les mots, mais il finit par les trouver, et s'expliquer. Olivier écoute, essaye de comprendre, surtout. car les mots qu'il entend lui échappent, il essaye de s'en saisir, mais il n'arrive pas à comprendre.
il est trop persuadé que tout le monde à Saint-Cley, au mieux, tolère sa présence, alors que l'on ai envie de lui offrir des choses, de faire quelque chose pour lui... c'est impossible, non ?

c'est beaucoup plus facile de se dire que c'est une demande du frère. qu'Aaron se contente d'obéir à une figure qu'il respecte, plutôt que de se raconter que c'est une envie, alors même si Olivier est un peu étonné que son frère puisse lui demander quelque chose de la sorte, il y croit.

... ah ? ... bon. ok.

c'est une bonne raison de faire les choses, quand quelqu'un le demande.
c'est pour ça qu'Olivier fait tout pour les habitants du coin, simplement car on lui demande, et même quand il n'a pas envie, il n'aime pas dire non aux requêtes. alors celle d'un frère, il n'en a pas, mais il comprend que c'est important.

... il imagine ce qu'il aurait fait si son père lui avait demandé quelque chose de la sorte,
mais son père ne demandait rien, le jugeait en silence et grognait quelques ordres, c'est tout.

mais c'était bien là le problème, son père, sa mère, enfin, leur... dernière demeure, comme Olivier le dit souvent, avec pincettes, car le temps qui passe ne cicatrise pas toutes les blessures. et même sans ordre, sans demande, sans rien, il a accepté qu'il s'occuperait de ça seul jusqu'à la fin.
jusqu'à ce gosse qui nettoie un peu trop bien.

heu d'accord, je comprends, alors, c'est pas grave, c'est surtout...

il ne comprend pas vraiment, mais il espère que cela apaisera la tension qui pèse sur leurs épaules et sur cette conversation.

... la tombe. c'est, comment dire ? c'est la seule chose que je peux encore faire pour eux. si je viens et que c'est nickel, j'ai plus vraiment de raisons de venir.

Olivier ne parle pas à ses parents.
il ne murmure pas de prières pour leurs âmes, les laissent bien là où elles sont,
il se contente simplement de s'agenouiller devant le marbre pour le nettoyer, et repart,
en pensant à eux,
mais ne leur parle jamais.

s'il n'a pas cette tâche un peu ingrate, ce moment où ses genoux font trop mal à cause des graviers, l'odeur de la javel qui lui rappelle encore l'état de la cuisine quand il est enfin rentré à la maison après quelques années,
il n'a pas grand chose à faire.

... tu comprends ?

il faudrait vraiment qu'Aaron comprenne.
ce serait plus simple, Olivier n'aurait pas à s'expliquer, n'aurait pas à dire que s'imposer cette corvée est la seule façon qu'il a trouvé pour leur rendre visite sans avoir à penser directement à eux.

RDV 12H30 devant le cimetière

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