le Dédé devrait passer à Brico Dépôt

Les Landes. Oh ça oui il a de belles forêts. C’était une des destinations préférées de ma mère pour nous emmener en vacances, pas trop loin de la maison, avec des connaissances pour nous héberger l’espace d’une ou deux semaines. Des vacances pas chères. Et des forêts de pins dans lesquelles on se poursuivait pour se taper avec des bâtons. Faites des gosses qu’ils disaient.
Je fais la moue quand il m’explique que vivre trop longtemps à Saint-Cley sape l’imagination. C’est d’une tristesse… J’espère pour lui que c’est une peur de l’inconnu qui l’a poussé à rester dans le coin plutôt que des rêves inexistants. Mais je n’en dis rien, inutile d’enfoncer le couteau dans la plaie si j’ai raison.
Au lieu de ça, en écho à ce qu’il m’a raconté, je commence à lui parler de Niort, vaguement du boulot, un peu de la famille, sentant cette lourdeur me peser dans la poitrine quand j’aborde le fait de rentrer au bercail de temps en temps.

Et il me sort de ce soudain élan de mélancolie, me fait hausser un sourcil en faisant le parallèle avec sa propre situation quelques années plus tôt. Ce doit être un sentiment universel. Ce ras-le-bol face à toute la population d’un bled qui connait tout de toi, ce que tu aurais voulu cacher, ce qui n’est jamais arrivé mais dont tout le monde est persuadé du contraire. Un gros soupir m’échappe. J’aurais préféré que ça discute de la vache de l’autre côté du ruisseau plutôt que de mon séjour en taule ou des photos qui se sont retrouvées sur internet.

– Ca ne vous dérange plus à présent ? L’idée que tout Saint-Cley puisse être au courant de la moindre parcelle de votre vie ?

Heureusement que c’est Charlie qui a posé bagage à Saint-Cley, et non pas Charlotte. Vu comme les nouvelles vont vites, il n’aurait pas fallu attendre bien longtemps pour que ma réputation fasse le tour du village.
Village accueillant d’après les dires du voisin. Son sourire est communicatif et il ne me faut pas longtemps pour reprendre le mien en le regardant d’un air taquin.

– Oh les vieux cons c’est ce que je préfère. Mais pour ce qui est de l’accueil… Une moue dubitative sur les lèvres, j’exagère à peine la réalité. Depuis que je suis arrivé, un tonton raciste a bien faillit m’en coller une, j’ai un patient qui a tenté de sécher des séances, y’a une nana qui a voulu fourrer son nez dans ma vie privée, j’ai failli crever de froid au moins 5 matins par semaine et y’a même un gars qui voulait escalader ma clôture pour une histoire de poule…

Comme d’habitude, je n’arrive pas à la tenir cette moue et perds rapidement mon sérieux en lui souriant d’un air joueur.

– Après si vous me dites que c’est le bizutage réservé aux petits nouveaux…

Et que malgré tout ça vaut le coup de s’accrocher pour rester à Saint-Cley, je veux bien le croire. Parce que pour un tonton raciste et une fouineuse, il y a quand même pas mal de personnes qui me réchauffent le cœur par leur simple présence. Les vieux cons en particulier.
M’avançant de nouveau sur la table, grignotant un peu de l’espace entre nos tasses, je lui glisse d’un ton de connivence

– Entre nous, si vous avez de nouveau un problème de poule ou de mouton ou que sais-je, vous avez mon feu-vert pour grimper sur ma barrière.

Si ça ce n’est pas la marque de confiance ultime, je ne sais pas ce que c’est.

Chanceux le voisin, avec peu de secrets à cacher. J’aimerais bien en dire autant. Quoi que, s’il me posait la question, je pense que ma réponse ressemblerait à la sienne. Alors, est-ce qu’au fond, lui aussi à des compagnons de cellule à enfouir là où personne n’ira fouiller ?
Je crois que j’irai quand même jeter un œil dans le champ un de ces jours. Pourtant je suis presque sûr que je n’y trouverai rien, mais il a piqué ma curiosité.
Je ne vaux pas mieux que la petite fouine.
Quoi que, s’il m’y trouve je pourrais toujours lui dire que je suis en route pour une colline depuis laquelle je peux crier au ciel.
Je ris en secouant la tête en m’imaginant hurler à la lune pour me plaindre de la température au petit matin.

- J’veux pas remettre en cause ce que vous me dites hein, mais j’suis pas sûr que ça change grand chose d’aller râler en haut d’une colline.

Pas sûr qu’il y ait grand monde qui puisse y faire quelque chose, pas sûr qu’il y ait grand monde pour m’écouter.
Par contre, l’autorisation d’escalader la barrière, c’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Je hausse un sourcil en entendant son ton bourru.

- Bah voyons. Il se raccroche aux branches, me fait sourire, heureusement que j’ai l’habitude des vieux ronchons hein. De toute façon vous l’avez maintenant, c’est trop tard.

Je hausse les épaules, comme si je venais, l’air de rien, de gagner un débat tendu. Chacun ses petits plaisirs.
J’ai le nez dans ma tasse quand il annonce qu’il va se rentrer, comme ça, sans préavis. C’est vrai que ce serait dommage de rater l’Office… Moi qui étais persuadé que les ouailles de la paroisse devaient tous avoir plus de 65 ans…
Un peu pris de court, je repose ma tasse, reste interdit un instant face à cette petite tape sur le bras, le réveil de la poule, son rangement dans le manteau de son maître, et me lève enfin pour suivre l’homme des bois dans l’entrée. Bon bah, s’il a décidé qu’il est temps de partir, c’est que ce doit être le cas.
Il me fait des politesses, je lui rends la pareille avec un ”C’était un plaisir, je n’y manquerai pas” et déjà il a passé la porte et s’avance sur le chemin jusque chez lui.
Je le regarde un instant s’éloigner avec sa poule tout contre lui, mais referme rapidement la porte en sentant l’air frais s’engouffrer à l’intérieur. Ce fut court mais intense.