Melvin a ce côté charmant qui lui attire des faveurs ; il est ce type qui séduit les belle-mères aux repas de famille, et les maîtresses à la sortie des écoles. Il est doux Ledoux, tendre et sympathique, alors naturellement, les négociations lui semblent aisées lorsque nécessaires.
Il n'en a pas toujours eu conscience, mais lorsque ça a été le cas, il s'est plus ou moins juré d'utiliser ça à bon escient ; convaincre Madame Durand de ne pas porter plainte contre les jeunes qui mettent leur musique trop forte, et persuader les dits jeunes de baisser le volume. Des petites victoires, qui rendent la vie plus facile pour tout le monde.
Et puis, il y a Louie. Le charme de Melvin, il ne guérit pas les bleus à l'âme ; il ne peut pas te guérir avec quelques sourires et plaisanteries, tu n'es pas d'humeur badine.
Et ça lui fend un peu le cœur cet état dans lequel il te retrouve, lui qui t'a connu gai galopin.
Il connait pas la joie d'être parent Melvin, mais s'il pouvait l'être, il voudrait que ça s'apparente à ce que vous avez. Et il ne veut pas être présomptueux, mettre les pieds dans le plat comme un sauvage, mais ça lui paraît impératif de faire quelque chose, parce que c'est toi, Louie, et qu'il ne te souhaite rien de plus que d'aller bien.
Alors il se lance, pour toi ; il prend les choses en main, et Ledoux devient charmant.
Quand il frappe à la porte de monsieur et madame Dzemael, il leur offre son plus beau sourire, et se fait inviter à l'intérieur. On lui sert le café, et on échange des banalités au début, de quoi garder l'atmosphère légère ; il leur arrache même un rire ou deux.
Et puis, quand il en a assez de tourner autour du pot, d'éviter l'éléphant dan la pièce, Melvin enfile ses gros sabots et s'élance :
– Je voulais vous parler d'un truc un peu délicat... il marque une pause. Le gamin est là ? Faudrait que ça reste entre nous.
Ce après-midi-là, il était d'humeur sereine, au final. Il s'emmerdait comme un rat mort, et partageait son ennui avec Andreas par sms - ils s'étaient liés d'amitié au bout de quelques jours, c'était honnêtement un miracle, surtout les connaissant tout les deux. Louie hésitait à faire le mur, à passer par la fenêtre de sa chambre et s'accrocher à l'arbre juste à côté et à se faufiler à l'extérieur pour rejoindre son tout nouvel ami, ou alors juste vagabonder en centre-ville à la recherche de quelque chose à faire, ou peut-être qu'Antoine Durand serait de sortie aujourd'hui - bref, les possibilités étaient infinies.
Mais pour l'heure, Louie avait faim. Aussi il était sorti de sa chambre sans un bruit, habitué à se faufiler comme une petite souris pendant toute son enfance. A force, il savait exactement quelles lattes du parquet craquaient. Au final, il s'était glissé près de l'escalier - et là, la voix l'avait interpellé, l'avait forcé à s'arrêter - et, et !
C'était Melvin. C'était grave Melvin ! Louie avait senti un pique de joie le traverser, bien rare ces temps-ci, c'était l'oasis au milieu du désert de déprime. Mais au final, la phrase l'avait surpris, les mots avaient fait s'effacer le sourire qui s'était frayé un chemin sur ses lèvres : Le gamin est là ? Faudrait que ça reste entre nous.
Est-ce qu'il s'était senti trahi ? Non, parce qu'il était pas con, et il faisait tant confiance à Melvin - mais il s'était tout de même vexé, parce que ça faisait mal, parce que les cachotteries, eh bien il détestait ça. Une moue s'était dessinée à la place du sourire, et il s'était assis sur la toute première marche de l'escalier qui menait au premier étage, celui qui lui était plus ou moins réservé. Toujours dans l'ombre, il écoutait, le coude sur le genoux, la joue dans la paume de sa main fébrile. Et il écoute, il écoute.
Il écoute son père, dont le ton s'est tendu, il peut presque sentir l'atmosphère de la salle à manger qui est devenue électrique. Il entend le "chais pas s'il est là, je crois pas"[i], et le [i]qu'est-ce qu'il a encore fait ? de sa mère, plus hésitant, plus aigu, elle est prête à descendre sur Melvin comme un oiseau de proie.
Et comme ses parents, Louie attend, anxieux, angoissé - et si Melvin n'était soudainement plus de son côté ? Qu'est-ce qu'il avait fait de mal ?
melvin
Quand l'atmosphère prend un virage nouveau, il ne sait pas quoi en penser au début, les doigts crispés autour de sa tasse ; il se demande s'il ne s'est pas montré trop confiant. Comme s'il pouvait débarquer dans une famille pour y jeter son grain de sel ; bien sûr à Saint-Cley, tout est si étroit qu'il est difficile de ne pas marcher sur les plate-bandes des voisins.
Il mentirait s'il disait qu'il ne s'attendait pas à ce genre de réactions. Toujours souriant et d'un ton se voulant rassurant, il tempère :
– Non, il a rien fait de mal, rien du tout, au contraire. Il est adorable, ton fils est un bon garçon, Claire.
Et il le sait car il rêverait d'avoir le même ; c'est pas juste de ces paroles toutes faites pour rassurer les parents anxieux, leur vendre du rêve en barre sur leur prodige de fils. Non, Melvin pense chaque mot qu'il pose sur toi, et c'est fou comme il se sent chanceux de t'avoir vu grandir. Il n'aurait pas pu être ailleurs qu'ici aujourd'hui, pas après ce qu'il a vu, ce qu'il sait.
Alors il reste sincère avec eux, en calculant bien chacune de ses paroles.
– Mais je m'inquiète pour lui, depuis qu'il est rentré. Il a changé. Enfin, j'vous dis ça, mais vous avez du le remarquer. C'est normal, après avoir vécu un truc pareil... On sait ce que c'est. il conclut en levant vaguement sa tasse vers son collègue.
Caresser dans le sens du poil, ne pas en faire trop. S'il sait une chose sur les parents, c'est qu'ils détestent ceux qui pensent pouvoir mieux faire qu'eux dans leur travail. La dernière chose que Melvin souhaite, c'est prétendre tout savoir ; mais ce n'est pas de sa faute si présentement, il sait.
C'est que dans son travail, on sait l'importance de la santé mentale, et il espère au fond de lui que son camarade s'en souvient aussi. Pour le bien du petit.
Alors, pour étoffer sa cause, il se confie d'un ton détaché :
– Après mon divorce, j'ai vu un psy pendant quelques temps, il m'a pas mal aidé à rebondir. Il est qu'à quarante minutes d'ici en bagnole, j'pourrais vous donner l'adresse.
Et part immédiatement se réfugier derrière se tasse de café, l'air nonchalant ; comme s'il n'avait pas laissé trotter cette idée au fond de son crâne depuis des jours, à s'étrangler d'inquiétude.
Et Louie ? Louie reste recroquevillé sur la première marche de l'escalier, les mains sur ses genoux, il soupire. Il attend la tempête, il attend... il attend le moment où ses parents vont se mettre à hurler, à s'énerver sur Melvin, et même lui - il ne comprend pas vraiment pourquoi il faut qu'ils montrent tant d'animosité. Est-ce que c'est si mal que ça, d'aller voir un psychologue ? Est-ce qu'à Saint-Cley, c'est un crime capital ? Il faut croire.
Finalement la tempête retourne le salon : c'est une dispute qui éclate soudainement, sans prévenir, c'est des paroles qui font mal et des secondes, des minutes qui durent bien plus longtemps qu'elles le devraient ; le temps s'étire alors que les parents de Louie s'efforcent de montrer à quel point l'idée de Melvin était une idée de merde.
C'est insoutenable. C'est insoutenable, et Louie se sent si mal pour Melvin.
Alors, il ne réfléchit pas trop, et il se lève. Difficilement, il descend les escaliers (pas aussi rapidement qu'il le voudrait, mais on fait avec, n'est-ce pas) et fait irruption dans le salon.
Il ne dira rien aux deux zouaves qui lui servent de parents. Il ne les regarde même pas, à vrai dire - en réalité, il a peur.
Et sans attendre de réponse, il tire Melvin par la manche, l'entraînant à l'extérieur de la maison.
melvin
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