Se serrer les coudes // ft. Sacha

Ce serait le moment parfait pour s'en allumer une.

Dans le froid mordant d'une fin de Novembre, Melvin contemple l'idée d'acheter un paquet en passant devant le tabac, rien que pour se réchauffer ; avant de finalement faire demi-tour et de reprendre sa route à grandes enjambées. Il n'a non seulement pas le temps, mais pas non plus l'envie de ruiner ses efforts ; sous la manche de sa chemise, son dernier patch le démange un peu.

Mais c'est vraiment le moment parfait pour s'en allumer une.

Il y a une atmosphère étrange dans la ville, tout le monde est tendu avec ces histoires de panne de réseaux, et d'internet qui marche pas ; mais lui, il n'y connait rien. Il ne sait pas quoi faire.
(il a la sensation très désagréable,
de ne soudainement plus servir à rien)

Il faut trouver une solution avant que les habitants aient la délicieuse idée de venir se présenter tous en même temps au poste, à défaut de pouvoir les harceler au téléphone. Il se demande si c'est la même galère pour eux, espère trouver des réponses rassurantes durant sa visite.
(mais au fond,
il n'y croit pas vraiment)

Lorsqu'il arrive à la caserne, il arrête un pompier qui passe devant lui.

    – Elle est là Slupowski ? J'aimerais lui parler.

Son ton est plus grave que ce qu'il voulait transmettre ; aussi voit-il le jeune homme s'en aller la chercher sans poser plus de questions.

C'est qu'il ne sait pas trop comment approcher le problème ; de toute sa carrière, il n'a jamais eu affaire à ça. Tout ce qu'il espère, c'est simplement trouver une personne plus avancée que lui.

C'est une journée agitée pour Sacha. En fait, elle court partout depuis le matin. On dirait que tout le monde s'est donné le mot pour venir la consulter sur diverses questions. Ce matin un type est tombé de son toit. Une brûlure grave à la main juste après. Et tout le monde est tendu avec ce truc de coupure internet.
Elle avale vite fait un sandwich tout en lisant des papiers dans son bureau. Toujours pas de réponse à sa demande de rénovation du self de la caserne...Ces connards de la mairie. Ha oui, le contrôle technique du camion incendie approche. Et dernièrement quelques-uns des gars se sont plaints de l'organisation des emplois du temps.
Elle se lève en fronçant les sourcils et sort de son bureau. Son idée est d'aller parler avec Laurent, le chef de garde aujourd'hui, à propos des emplois du temps ; à cette heure ils doivent être en train de faire des exercices. On a seulement Youcef et Manon qui sont parti.es chercher un chat coincé, les autres pompiers pros sont là, bon moment pour en parler...


Elle lui crie cette demande en s'éloignant déjà vers l'accueil. Faudra toujours voir les emplois du temps plus tard dans l'après-midi, mais c'est vrai que ce serait pas mal de parler aux gendarmes, la situation est étrange ces jours-ci. Tu m'étonnes qu'il a l'air "préoccupé".

"Bonjour, Lieutenant. Comment ça va ?"

Elle tend la main au gendarme avec un sourire bref. Ses traits sont tirés et ses cernes très marqués mais il faut dire qu'elle a toujours eu l'air épuisée, même enfant.
Elle entre immédiatement dans le vif du sujet, et on voit à son expression qu'elle attend une réponse sincère, sans ambages. Efficace.  

"T'as vu, avec internet ? T'en penses quoi ?"

Quand tu viens le saluer, Melvin fait de son mieux pour ne pas t'offrir une de ses poignées de main trop molles, celles de ses mauvais jours ou il est trop stressé et épuisé pour saluer convenablement. Pour autant, il n'a qu'un grognement un peu rustre lorsque tu t'enquières de ses nouvelles ; il n'a rien de joyeux à dire, alors il hausse les épaules, et son visage s'étire en une vague tentative de sourire fatigué, à défaut de pouvoir offrir plus.

Il t'aime bien pourtant Sacha, tu fais bien ton boulot et c'est tout ce qu'il demande ; au fond, il te trouve forte et ça force son admiration.

Mais la malchance veut que tu tombes sur un de ses mauvais jours, et il n'est pas venu pour échanger des banalités. Quand la question tombe, il rentre dans le vif du sujet, sans passer par quatre chemins.

– J'en pense que ça me prend le chou. Si j'en chope encore un à venir se plaindre parce qu'il peut plus regarder Nagui, ou parce qu'ils peuvent plus envoyer des messages à tatie Jacqueline sur face de bouc... nouveau haussement d'épaule, regard désabusé. M'enfin, j'y comprends rien à ce bordel moi, d'toute façon.

C'est tout juste s'il arrivait à naviguer correctement sur internet avant tout ça, il ne se sent pas plus dépaysé ; quoique s'endormir devant la télé lui manque un peu.
(et aller sur Tinder, bien sûr,
mais il ne se sent pas de l'avouer devant elle)

Et puis, il râle il râle le Melvin, mais c'est aussi sa faute à toujours être aussi attentif au moindre petit problème, tendre l'oreille à chaque complainte ; et à force de tant d'années à s'attribuer le noble statut de bureau des plaintes, les saint-cleytois se sont donnés le mot pour lui tirer sur la manche à chaque patrouille. Oh, il est toujours heureux d'avoir des nouvelles de tout le monde ; mais ça commence un peu à lui courir sur le haricot ces histoires de panne d'Internet.

Il ne t'en fait pas part, de ça, parce qu'il songe que tu as mieux à faire que d'écouter ses états d'âme de vieux cons ; toi aussi, tu as tes soucis.

Alors, d'un coup de menton peu assuré, il désigne à son tour la caserne derrière eux.

– Ca se passe comment pour vous ? Personne n'est tombé du haut de son toit en voulant bidouiller l'antenne télé ?

Sacha choisit de ne pas relever l'air tout à fait maussade du lieutenant. Premièrement, en le connaissant relativement elle est habituée, deuxièmement elle trouve ça compréhensible. "De toute façon, c'est pas le sujet de savoir si nous on va bien, pas pour l'instant."

Elle hoche la tête d'un air grave aux doléances de Ledoux. Oui, sûr que tout le monde doit venir se plaindre à lui, ou aux gendarmes en général. On a souvent l'impression que eux savent ce qui se passe, j'imagine ? Du côté des pompiers, c'est surtout des problèmes engendrés par toutes sortes de détails techniques. Et aussi des grosses crises de colère domestique, mais ça Ledoux en entend parler aussi.

Elle lève les yeux au ciel et écarte les mains dans un geste désemparé pour répondre à la question de "comment ça se passe ici" :

"Mais c'est une galère extraordinaire ! Les toits, oui, déjà. Et les interventions pour casser les portes automatiques de certains magasins." -mentionner ce détail la fait sourire, quand même, parce que c'était plutôt comique à voir. "Les accidents parce que la signalisation est désynchronisée, ça c'est terrible." -elle reprend son sérieux. "Et surtout, le plus dur : nos appels sont filtrés par une plateforme tu sais, elle est à Bois Blanc. Et ils sont vraiment en galère là bas, je crois qu'on manque plein d'appels...Ils n'arrivent plus à gérer sans la connexion."

Et tout le monde panique à moitié tout en continuant une vie normale. Enfin c'est comme ça que Sacha le ressent : elle a l'impression qu'il va se passer quelque chose d'énorme bientôt, ou alors rien du tout et que ça va rester comme ça, et elle ne sait pas ce qui serait le pire ? "Ce n'est que le début, je le sens. Ca va être le bordel." pense t'elle en regardant Max passer avec un seau d'eau dans la cour. Elle lui rend son signe de la main en souriant.

"Il faudrait qu'on passe aux gens le numéro direct de la caserne. Que tout le monde l'aie, même si ça va être vraiment dur à gérer. On a une quarantaine de pompiers volontaires, en plus des 15 pros, on peut les appeler pour aider à gérer les appels. Ca va être un merdier."

Mais c'est une solution. Bancale certes mais au moins, il se passera quelque chose. Il y a trop d'organisation qui dépend d'internet, il faut penser à des solutions pour contourner ça. Elle se sent un peu submergée par l'ampleur des conséquences possibles de cette coupure. Elles sont difficiles à imaginer mais en tout cas, ça lui semble chaotique. Réfléchir à des solutions, n'importe lesquelles presque, ça rend les choses moins vertigineuses. Elle s'anime un peu, prend un visage concentré.

"Je compte pas sur la mairie en tout cas. Mais j'ai l'impression de devoir me préparer à quelque chose."